Extraits du livre : Autoédition - des écrivains témoignent
vendredi 05 oct 2012
Voici des extraits de l'interview donnée à Dominique Biot (alias 'Doumé') pour son livre enquête sur les écrivains qui passent à l'auto-édition.
Dominique Biot:
Bonjour Daniel, tout d'abord est-ce que vous pouvez vous présenter pour les internautes qui ne vous connaitraient pas ?
Daniel Ichbiah:
Bonjour. Je suis écrivain, et je dois dire que j’adore cela. La sensation que je vais rendre un lecteur heureux, durant quelques heures, le faire voyager, le faire rêver, me plaît beaucoup. Grâce à Internet, nous obtenons aisément des échos de nos lecteurs et c’est un sacré bonus. J’adore apprendre qu’un de mes livres a pu changer, ne serait-ce qu’un petit peu, la vie d’un lecteur, lui donner plus d’espoir, plus d’humanité, ou tout simplement l’envie de créer lui-même.
Récemment, lors d’un salon important, un speaker a expliqué comment la lectured’un de mes écrits avait été déterminant pour lui - on me l’a raconté, je n’étais pas là. C’est fascinant de penser que l’on peut influer ainsi sur la vie des gens et c’est aussi une belle responsabilité. Personnellement, j’aime inciter les gens à faire de grandes choses, à se dépasser. Et comme j’ai écrit pas mal de biographies, j’ai l’impression qu’elles ont ce pouvoir : elles donnent des ailes à certains lecteurs.
Plus concrètement, j’ai publié plusieurs best-sellers, notamment ‘Les 4 vies de Steve Jobs’, qui a été classé n°1 sur iTunes fin août, début septembre 2011, ‘Bill Gates et la saga de Microsoft’ qui a été dans le Top 10 des ventes à sa sortie en 1995 et aussi ‘La saga des jeux vidéo’, un livre devenu ‘culte’ chez les joueurs - il raconte l’histoire du jeu vidéo à travers des anecdotes assez incroyables que j’ai recueillies au fil des années.
J’ai aussi écrit des biographies des Rolling Stones, de Madonna, de Téléphone, des Beatles, etc. C’est une opportunité extraordinaire que de pouvoir écrire ces biographies. D’abord parce que cela fait rencontrer des gens extraordinaires - la rencontre avec Louis Bertignac a été un moment fort - et nouer des amitiés. De plus, on passe trois mois de sa vie ou davantage à écouter en long et en large l’œuvre d’un artiste et c’est un bonheur. Découvrir comment certaines chansons des Beatles ont été créées est réellement fascinant - un mélange de hasard heureux, de bric et de broc, d’inspirations inattendues.
J’ai aussi écrit des livres d’énigmes, des romans, et beaucoup de méthodes de musique. Pour ce dernier cas, là encore, c’est un plaisir que de passer le flambeau en enseignant comment déchiffrer une partition, jouer de la guitare, du piano…
En matière d’auto-édition, j’ai un vrai best-seller, Rock Vibrations, La saga des hits du rock. C’est un livre qui était sorti en 2003 et dont l’éditeur avait cessé d’exister peu après. Or, le sujet est par nature séduisant : c’est l’histoire de grands tubes comme ‘Hotel California’, ‘Paris s’éveille’, etc. Par nature, il évoque des moments forts chez les lecteurs, beaucoup de chansons sont associées à ce qu’ils ont personnellement vécu, et il se trouve aussi que les grandes chansons ont souvent des histoires incroyables.
Par ailleurs, je suis rédacteur en chef d’un magazine de vulgarisation des connaissances, Comment ça marche. Enfin, j’ai écrit pas mal de chansons, on peut en trouver certaines sur Youtube…
Dominique:
Parmi les auteurs interrogés dans ce livre, vous êtes le plus prolifique sans pour autant vous prendre au sérieux. La preuve : vous accordez facilement des interviews à des illustres inconnus. Votre succès ne vous a donc pas grisé ?
Daniel:
Mon maître en la matière est Bernard Werber, l’auteur des Fourmis. C’est en l’observant que j’ai constaté qu’il était toujours bon d’accepter une interview. Fondamentalement, il y a toujours à apprendre dans un tel exercice car chaque ‘intervieweur’ a un angle différent. De plus, cela permet de toucher le public et tout ce que nous faisons, c’est pour lui. Il est le roi.
(...)
Dominique:
Sinon, vous êtes papier ou numérique dans l'édition de livres ? Que préférez-vous ?
Daniel:
La question n’est pas tranchée. Je pense que le numérique va avant tout remplacer le livre de poche, tout comme le MP3 a remplacé l’achat de chansons à l’unité. Je m’explique et d’ailleurs, la musique nous offre un bel exemple. Lorsque l’on va chez un ami, on découvre qu’il est fréquent qu’il ait chez lui quelques albums plus ou moins incontournables. Ce matin, par exemple, j’ai rendu visite à quelqu’un de façon impromptu et il exposait presque fièrement dans sa discothèque des albums de Dylan, de Miles Davis, des Beatles. Ce type d’album est tellement bon qu’on se verrait mal en acheter les morceaux en MP3. On a envie de les avoir chez soi et de les écouter comme un tout car il n’y a rien à jeter dedans. Pour d’autres artistes / albums moins indispensables, l’achat de chansons à l’unité paraît préférable. Et d’ailleurs, certaines chansons vont être écoutées 2 ou 3 mois puis mises de côté alors que les grands albums traversent le temps.
En matière de littérature, nous avons un peu le même phénomène. Il y a des livres que l’on voudra avoir chez soi, sous forme papier, car on veut pouvoir les consulter à tout moment et aussi parce qu’ils représentent quelque chose de fort. D’ailleurs, on sera souvent fier de les exposer dans une bibliothèque. Et puis, il y a la littérature de détente, le livre qu’on va lire durant un voyage, un trajet en avion. Et là, autant avoir un Kindle, un iPad ou un Kobo avec soi, d’autant que ces appareils rendent l’achat d’un livre hyper simple à tout moment.
Récemment, alors que j’étais aux USA, je me suis réveillé à 4 heures du matin sans pouvoir dormir. J’ai alors pu commander un livre immédiatement et démarrer la lecture quelques minutes plus tard. C’est tout de même incroyable de pouvoir avoir ce rapport hyper simple avec la ‘consommation’ de livres. Enfin, s’il y a une chose que j’adore sur mon Kindle Touch, c’est de pouvoir toucher un mot et de voir apparaître sa définition. Cela fait gagner un temps fou…
Dominique:
J'ai lu comment votre cheminement par l'école traditionnelle de l'édition qui forme à l'humilité et à la persévérance afin de satisfaire l'éditeur et le public en écrits de qualité. Pensez-vous que la liberté de l'auto-édition risque de niveler vers le bas ?
Daniel:
Il se trouve que j’ai eu de la chance de travailler pour des éditeurs très exigeants qui m’ont fait réécrire, réécrire, réécrire, de manière impitoyable. C’est une sacrée école. Cela m’a fait comprendre que, quand on travaille pour un éditeur, celui-ci pense au livre, non pas comme à quelque chose que l’on a écrit pour se faire plaisir, mais à un objet qui va devoir atteindre son public. La forme d’un livre, la façon de ménager l’intérêt, de laisser des éléments en suspens, la qualité d’écriture… Tout cela, cela s’apprend. Dans un roman que j’avais écrit vers 1994, et qu’un éditeur important voulait publier, j’ai vu le manuscrit revenir bardé de rouge, avec des corrections dans tous les sens, des questions, des paragraphes barrés. Le plus étonnant, c’est de s’entendre dire : le chapitre 6 n’est pas bon, il faut le réécrire intégralement. Intégralement veut dire que l’on jette tout et l’on repart à zéro pour ce chapitre - un autre scénario - tout en veillant à ce qu’il s’intègre avec le chapitre 7. J’ai dû faire cela pour 2 chapitres ! Au final, le livre a été réécrit / bonifié 4 fois. Autant le dire, c’est une école de rigueur et les auteurs qui passent par des éditeurs classiques qui leur demandent ce travail ont tout intérêt à s’y plier.
L’auto-édition numérique, c’est sûr, ne permet pas cette exigence et idéalement, un auteur devrait se frotter à l’édition classique car c’est la meilleure façon d’apprendre. Ecrire demande énormément d’exigence. Bien souvent, des gens qui ont écrit un livre me demandent mon avis. Presque toujours, lorsque je me permets de leur dire : ‘tu devrais réécrire ceci’, ‘tu devais changer cela sur le personnage’, ils s’offusquent.
L’argument que j’entends immanquablement alors, c’est : ‘mes amis trouvent mon roman très bien !’. Donc, ce qu’ils veulent, c’est entendre dire ‘Bravo ! Ce que tu as fait est parfait !’. Or, le point de vue des amis n’est pas le point de vue des professionnels.
À tout moment, un auteur est en ‘concurrence’ avec des tas d’autres livres et autres objets culturels : DVDs, jeux vidéos… Si l’on prend le point de vue que l’on est au service du lecteur, que l’on a pour mission de lui apporter quelque chose, qu’il s’agisse de lui faire passer un super moment ou de le faire réfléchir, alors on voit les choses différemment. Il m’est arrivé de passer une heure sur une phrase. Et alors ? Brassens pouvait mettre un an pour écrire une chanson et aujourd’hui, nous les écoutons encore et continuons de nous extasier sur la qualité de ses vers.
Dominique :
Pourquoi en êtes vous venu à auto-éditer vos livres ?
Daniel :
Parce que, bien souvent, un livre 'papier' a une durée de vie assez limitée. Les éditeurs publient sans cesse des nouveautés et les libraires ne peuvent pas tout stocker. De ce fait, ils renvoient assez vite les livres aux éditeurs. De ce fait, un livre ne demeure souvent en rayon que 2 mois environ. Or, certains chiffres sont loin d'avoir épuisé leurs chances. Ainsi, Rock Vibrations est un bon exemple. Depuis qu'il est sorti en numérique, il se vend par dizaines chaque mois, il est presque toujours n°1 de la catégorie Musique depuis son arrivée sur la boutique Kindle fin février. Personnellement, j'avais une bonne vingtaine de livres qui n'étaient plus réédités et donc j'avais récupéré les droits.
A présent, ils ont une nouvelle chance et plusieurs d'entre eux connaissent des ventes raisonnables : Téléphone au coeur de la vie, Bill Gates et la saga de Microsoft, Robots genèse d'un peuple artificiel... Autre avantage : comme l'on touche entre 35% et 70% du prix de vente, on peut vendre à bas prix et toucher autant que pour un livre papier.
Pour un auteur, c'est aussi une libération que de pouvoir vendre directement certains de ses écrits. Il faut savoir que certains éditeurs savent assez mal vendre certains livres. Ainsi, 'La Saga des Jeux Vidéo' ne se vendait pas lorsque le livre était chez Vuibert - cet éditeur ne faisait aucun effort dessus. Dès que le livre a été repris par Pix'n'Love il a décollé. Ce nouvel éditeur en a vendu davantage en quelques mois que Vuibert en plusieurs années. J'ai aussi connu des situations assez frustrantes : un livre particulier fait l'objet d'une forte demande mais l'éditeur ne s'en soucie pas car il privilégie d'autres produits. J'ai ainsi eu un livre qui partait tout seul lors d'un Apple Expo. Le stock que l'éditeur avait amené a été épuisé en 2 heures environ. Il a fallu supplier pour qu'ils en fassent venir davantage. Et les livres ne sont arrivés qu'au bout d'un jour et demi. Je ne dis pas que cela se passe avec tous les éditeurs mais cela se passe avec certains. J'ai aussi un éditeur qui ne m'a jamais versé de droits en dépit de bonnes ventes car il cumule les ventes de tous les livres : si l'un d'eux s'est mal vendu, il vient en négatif du compte de l'auteur - je n'avais pas pris la peine de lire ses contrats dans le détail et cela a été une grosse déception de voir qu'un livre bien vendu ne rapportait rien.
Donc l'auto-édition permet de redonner une chance aux livres dont la carrière s'était achevée un peu trop tôt. Par ailleurs, les efforts de promotion que l'on peut faire produisent des fruits que l'on peut récolter. Il permet une indépendance par rapport à certains éditeurs qui est salutaire.
(...)